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Sur les traces du plus gros tracteur au monde

Il y a 6 ans, alors qu’ils s’apprêtaient à célébrer la Nativité, les salariés de la Big Equipment Company perdaient leur lieur de travail dans un incendie, détruisant par la même occasion une grand partie du patrimoine d’une marque désormais connue dans le monde entier. L’entreprise où furent produits les célèbres Big Bud, à proximité de Havre dans le Montana nous avait en 2008 ouvert ses portes, permettent d’y découvrir une équipe reconvertie dans la commercialisation et l’entretien de machines de grande série, mais qui chaque année restauraient ceux qu’ils avaient fait naître jusqu’au tournant des années 90. Nous profitons du moment qui nous est offert, pour vous partager un sujet écrit début 2009. 

Du rêve américain à la réalité

En septembre 2008, une douzaine de passionnés et de copains amateurs de grosse puissance embarquait depuis Paris Charles de Gaulle pour Chicago. Au programme, un large périple au nord des Etats-Unis, avec en toile de fond la découverte du machinisme agricole sous toutes ses formes. Pendant une dizaine de jours, la petite troupe a arpenté les larges plaines à la recherche de machines hors normes, dont un certain Big Bud 747. Récit d’un « road trip » pas comme les autres, où le rêve est devenu réalité.

Une fois laissées derrière nous les dernières lueurs de Great Falls, nous voici sur la « Highway 87 » sans la moindre trace de civilisation, à l’exception de quelques fermes isolées. On aperçoit de temps à autre le nez d’engins de tous âges, prêts à emblaver les immensités que leur offre cette topographie si particulière, un plateau encaissé entre de lointaines montagnes enneigées, parsemées ici et là de crevasses et canyons. Le paysage gris jaunâtre est lunaire et poussiéreux. Selon le Département de l’Agriculture du Montana, il faut espérer compter sur une moyenne de 280 mm de précipitations annuelles. Juste assez pour faire pousser des céréales et de l’herbe sur une courte période. Il ne manque plus que le vent s’en mêle et les quelques millimètres partent alors en brouillard!

Into the wild!

Mieux vaut ne pas tomber en panne sèche et heureusement que le réservoir de notre Greyhound a été complété la veille. La rareté des stations services ne permet en aucun cas un oubli de ce genre lorsqu’il s’agit de traverser ces immensités. Malgré l’aspect inhospitalier, on sent une certaine fascination de la part de notre groupe de français, stupéfaits par la désolation toute relative de la région, et attendant impatiemment de voir surgir le blanc-museau d’un géant des champs local. En nous dirigeant vers le nord, nous nous rapprochons du fief de Big Bud. Des exemplaires sont effectivement à l’œuvre dans les champs qui jouxtent la route, tractant semoirs et cultivateurs de bonne largeur.

La surface moyenne des 800 exploitations de la région de Chouteau frôle les 1200 hectares, soit une surface agricole utile de 931333 hectares. En terme de rendements, la moyenne annuelle en 2007 atteignait 24 quintaux par hectare pour le blé dur. Par rapport au modèle français, les densités de semis sont plus faibles, les apports d’engrais azotés à peine inférieurs aux nôtres, mais les engrais phosphoriques et potassiques sont quant à eux divisés par deux. Les farmers n’ont pas le choix, s’ils veulent faire vivre leur famille, il faut des acres… et de l’eau! Le Montana, c’est aussi une terre d’élevage bovin. La moitié de l’assolement leur est consacré chez la plupart des éleveurs. En terme de mécanisation, nos références aux plus gros tracteurs ne sont pas contrefaites. L’ensemble de base se constitue dans la région du Chouteau d’un tracteur articulé ou à quatre roues égales à châssis rigide, et de son semoir ou cultivateur d’une douzaine de mètres minimum. Cependant, les tracteurs et moissonneuses dernier cri se font rares. Ford, Case, John Deere, Steiger, Versatile, Oliver… et Big Bud sont encore bien présents, comme si le temps s’était arrêté au début des années 90. Ici les mécaniques de ces engins sur-dimensionnés ne sont pas mises à rude épreuve. Les farmers jouent la sécurité pour pallier toutes casses, les concessions étant la plupart du temps dans les grandes villes, parfois à des centaines de kilomètres.

Si nous n’avons pas pu le voir évoluer ce jour, car en reconversion au biodiesel au sein de l’université locale, nous sommes accueillis par ses propriétaires, les frères Williams (Randy et Robert, aux extrémités gauche et droite), Keith Richardson, le designer de la marque (deuxième en partant de la gauche) et le boss de Big Equipment, Ron Harmon (troisième en partant de la gauche).

Il est là !

Havre nous accueille sous un crachin digne de la Bretagne! C’est l’heure du premier contact avec Ron Harmon, le pdg de Big Equipment, la firme qui produisait les Big Bud, et qui les restaure toujours avec fierté. L’objet de notre visite n’est pas au travail, mais bel et bien revenu à l’endroit où il fut conçu. Le 747 est en effet parqué derrière les bâtiments de l’Université qui l’héberge, et travaille sur l’adaptation du colossal Detroit Diesel de 16 cylindres au carburant bio-diesel. IL est donc ausculté par des ingénieurs et étudiants spécialisés dans la recherche sur les énergies « moins polluantes ».

Qu’on l’aime ou non, le design anguleux du mastodonte de 52 tonnes en impose! Ses mensurations sont à la hauteur de sa réputation : 8,69 mètres de longueur, 4,27 m de hauteur, 6,35 m de largeur avec le jumelage. Les déplacements routiers doivent être périlleux. Il faudra cependant qu’il s’y habitue puisqu’à l’issue de son séjour à Havre, il est question d’une tournée sur de grands shows en 2009. Même 30 ans après, Ron Harmon est toujours aussi admiratif envers le travail effectué par son équipe, et c’est toujours pour lui un très grand plaisir lorsqu’il tourne la clé de contact du 747. Le Detroit Diesel est lourd à lancer mais il ne met pas longtemps à se stabiliser. Ses 16 cylindres disposés en V autorisent l’utilisation de deux turbos. Il s’agit d’un moteur 2 temps de 24,14 litres. Chaque temps correspond à un mouvement du piston dans chacun des cylindres. Le premier temps correspond à la compression et la combustion du mélange air-carburant. Le second temps fait coïncider l’expulsion des gaz produits par la combustion avec la réadmission du mélange air-carburant, et ainsi de suite. Lors de la construction du 747, rares étaient les moteurs à afficher une telle puissance, tout en étant simple, économique et compact. Detroit Diesel équipait déjà de nombreuses machines agricoles et de génie civil avec ses moteurs deux temps, généralement plus répandus dans les très petites et grosses cylindrées plutôt que dans les moyennes.

Pour la Northern Manufacturing Company, le choix était très limité en terme de motorisation, mais le « 16V92T » demeurait simple à entretenir et le nombre de pièces le composant était faible. Par ailleurs, il peut être considéré comme économique à l’usage, à condition de mettre en rapport cette consommation avec la largeur de l’outil à tracter. Avec un cultivateur Friggstadt de 24 mètres, sa consommation de 100 litres à l’heure peut être ramenée à 4 litres à l’hectare. Il n’empêche que l’Institut « Montana State University Northern » mène des études afin de savoir si ce moteur peut fonctionner totalement au biodiesel, obtenu à partir d’huile végétale, voir animale, ou en mélange avec du gasoil. Ces études devraient permettre de démontrer si ce mélange permet ou non de tirer un meilleur parti du moteur Detroit, tout en réduisant l’émission des Nox. Le Big Bud 747 16V deviendrait ainsi une vitrine technologique fonctionnelle. L’Institut de Recherche de Havre, située à deux pas du workshop originel de Big Bud, s’est déjà fait la main sur de gros pick up motorisés par des V8, et se montre optimiste sur les résultats au moment ou le pétrole est au cœur de tous les débats.

Robert et Randy Williams, les propriétaires actuels arrivent sur les lieux au volant de leur pick up, un Chevrolet Silverado SS (pour Super Sport). Blousons et casquettes aux couleurs du 747, ils ont l’habitude des visites. Randy monte à bord, et met les gaz à fond. Le moteur fume et hurle de tous ses chevaux au grand bonheur de la petite troupe française en admiration devant le timbre de voix si particulier de l’engin. Il s’agit là d’une autre particularité liée au cycle deux temps. Nerveux et « coupleux », le 16 cylindres émet un bruit spécifiquement aigu, mais fume également, rapport à son mode de lubrification par injection d’huile perdue. Coté transmission, il ne faut pas s’étonner que la Powershift d’origine Twin Disc n’offre que six vitesses avant et une seule arrière. Elle est proportionnée au tracteur et offre un étagement des vitesses adapté au travail avec une vitesse maximale de 30 km/h environ. Seuls les deux frères et l’équipe de la Big Equipment sont habilités à conduire l’engin. La Powershift requiert en effet un certain doigté et une habitude particulière pour passer les vitesses.

Sous la large carrosserie d’acier, le coeur de la bête, un Detroit Diesel 16 cylindres en V affiche un poids nu de 2,2 tonnes à lui seul
Détail des pneus, qui ont été conçus spécialement pour le 747 par United Tires Company. On distingue quelques signes d’usure, qui contraindront ses futurs propriétaires à le chausser en Good Year LSW1400.
Des jantes dimensionnées pour éviter leur patinage dans les pneumatiques!

Il était une fois dans l’Ouest

L’histoire du Big Bud 747 16V n’aurait pu exister sans la demande particulière de deux frères Californiens, producteurs de coton à Bakersfield. L’exploitation des Rossi se trouvait sur une veine particulièrement dure à travailler, les obligeant à utiliser trois Caterpillar D9 à chenilles métalliques pour défoncer la structure du sol et ainsi espérer obtenir un meilleur lit de semence. Aucun tracteur proposé dans les années 1970 n’aurait été capable de réaliser un travail convenable avec un outil plus large selon eux. Il faut cependant noter, pour anecdote que la sous-soleuse ne travaillait généralement pas à moins de 90 cm de profondeur, avec une « pointe » à 1,20 m quand la puissance et l’adhérence le permettaient. Lassés de devoir décompacter tous les ans leurs 10000 acres de terre à une vitesse de seulement 1,6 km/h, les Rossi ont préféré se tourner vers un industriel et concevoir leur propre tracteur selon un cahier des charges bien précis.

Big Bud est alors un artisan en vogue depuis une dizaine d’années dans le Montana. Il propose des engins de conception simple reposant sur une structure commune, « des tracteurs incassables » comme se targuent de dire aujourd’hui les connaisseurs. C’est lui qui relèvera le défi. De cette étude, destinée à l’origine à la production d’une petite série, devait naître un engin de 760 chevaux avec un budget de l’ordre de 300.000 $. Ron Harmon, pdg de la Northern Manufacturing Company se souvient de cette proposition, certainement la plus atypique de toute sa carrière. Son équipe d’ingénieurs et d’ouvriers commença dès la mi-1976 à imaginer l’engin, sans se rendre vraiment compte de l’importance d’une telle production sur l’image de la société alors en plein essor. Le tracteur nº 7816 entra en production à la mi-1977. Il faudra attendre seulement janvier 1978 pour que les portes du bâtiment ne s’ouvrent, et laissent échapper un gigantesque dinosaure d’acier. Celui-ci fut baptisé 747 en hommage au gros porteur de Boeing et 16V pour son nombre de cylindres disposés en V. Les 45 tonnes (à vide!) reposent sur 8 pneumatiques de 1 mètre de largeur pour 2,44 m de hauteur faits sur mesures par United Tire Company au Canada. Le moule est unique et attitré à ce tracteur puisqu’il est le seul à se chausser ainsi.

L’inconvénient majeur des engins lourds de grosse puissance est qu’un effort de traction trop important fait patiner les jantes dans les pneumatiques et peut ainsi les endommager. Il est donc primordial de solidariser l’ensemble pneu-jante en autorisant une certaine déformation pour mieux passer la puissance au sol. On estime aujourd’hui qu’il faudrait débourser près de 800.000 $ pour rechausser le 747 à neuf! C’est en 1977, lors d’une balade en moto avec leur ami Ron Harmon, que Randy et Robert Williams, deux frères agriculteurs à Great Falls apprirent la fabrication du gros tracteur. La vingtaine passée, les deux frères passèrent des heures à l’usine pour contempler l’assemblage d’épaisses plaques de métal et L’impressionnant moteur Detroit Diesel qui trouva petit à petit sa place dans son coffrage. Ils ne s’imaginaient certainement pas l’acquérir un jour. A l’époque, le plus gros tracteur de la ferme familiale, implantée à l’ombre des montagnes de Bear Paw était un JI Case 1200 de seulement 120 chevaux, le premier tracteur à quatre roues égales et directrices fabriqué par le constructeur américain. Au fil du temps, la ferme devait s’agrandir, ce qui eu des répercussions sur le parc matériel. 

Retour au bercail

En 1978, le Big Bud 747 16V quitta donc Havre et fut livré à ses nouveaux propriétaires. Lorsque les Cat D9 à chenilles métalliques emmenaient la sous-soleuse à 5 dents, il ne fallait pas espérer faire plus de 6 hectares dans une journée de travail de 10 heures. Dès son arrivée, le Big Bud permit de défoncer ces 6 hectares en seulement une heure, avec un appareil de 15 dents à une vitesse comprise entre 8 et 13 km/h! Après 11 années de bons et loyaux services, le nouvel itinéraire cultural adopté par les frères Rossi les contraint alors à revendre le 747. La presse se l’était accaparé dès sa présentation et avait d’ailleurs permit au constructeur d’élargir sa clientèle et sa gamme. Le 747 n’eut aucun mal à trouver rapidement preneur. La ferme Willowbrook de Indlantic en Floride l’utilisa également pour des travaux de défonçage du sol et le revendit en 1997 à son créateur, date à laquelle il regagna ses terres natales du Montana. Ron contacta ses amis de longue date, les frères Williams pour leur annoncer le retour inespéré du géant et leur proposa de le racheter. Leur réponse positive ne se fit pas attendre.

Bien que l’usine ait à l’époque stoppé sa production de tracteur, elle répare et rénove toujours les géants blancs ainsi que d’autres congénères, tels que les Wagner, qui pullulent dans la région. Le retour au bercail est donc l’occasion de procéder à un lifting intégral. Les parties noires du capot sont poncées puis repeintes dans une robe blanche intégrale. Les deux cheminées d’échappement droites sont échangées par deux plus courtes, chromées et coudées. Pour Randy et Robert Williams, c’est une aubaine de pouvoir travailler avec un tel engin. Pour eux qui cultivent près de 4000 hectares de pois chiches et blé au pied de montagnes longtemps enneigées, la fenêtre de travail est si courte qu’il faut travailler au plus vite les terres au moment des semis. Avec le 747, ils n’ont plus besoin de travailler tard dans la nuit pour terminer leur travail.

A un rythme de 40 hectares par heure, le 747 peut, avec son cultivateur Friggstadt de 24 mètres, préparer la terre pour le passage en continu de deux semoirs à grain de 18 mètres en activité. Sur une journée de 10 heures, les deux frères arrivent à retourner et semer quotidiennement entre 350 à 400 hectares de terre. Et si leurs épouses souhaitent savoir où travaillent leurs maris, elles n’ont qu’à écouter le rugissement du moteur, qui est perceptible jusqu’à une bonne dizaine de kilomètres de la ferme. Heureusement, il y a très peu de voisins au pied des montagnes Bear Paw, à Big Sandy.

La venue de français dans un état aussi peu visité et peuplé que le Montana, ça n’arrive pas tous les jours. En plus d’avoir la chance de passer une journée en compagnie de Ron Harmon et partagé un demi poulet rôti (par personne!) avec les frères Williams, la direction de l’université de Havre vient à notre rencontre aborder le sujet du biodiesel. Le Big Bud chance de régime et va gagner en puissance tout en étant plus « propre ».
L’engin impressionne en statique.
Les frangins ne vont pas tarder à faire le show en actionnant les 16 cylindres de leur mastodonte de 52 tonnes.
Le pick-up des Williams brothers permet de se faire une idée du gabarit du 747.
La réglementation américaine permet ce genre de petite fantaisie en matière de plaques minéralogiques.
Isolée, la ferme des Williams se situe sur le territoire de Big Sandy (Montana), à près de 40 km des routes bitumées!

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